Fils prodigues, de Colin Barrett

Il y a dans nos relations avec les bibliothécaires le même genre d’échanges et de complicité qu’avec celles que nous entretenons avec les libraires : ils ou elles (ce sont souvent des femmes) nous connaissent et savent nous conseiller, parfois même sans que nous leur demandions conseil.

Ainsi Christine me mit entre les mains Fils Prodigues de Colin Barrett, sans rien ajouter qu’un regard franc qui signifiait : « Celui-ci va te plaire« .

Le résumé

En ce week-end de festival du saumon à Ballina, en Irlande, les frères Ferdia ont décidé de faire payer Cillian English, petit dealer, pour un paquet de drogue perdu. Ils kidnappent son jeune frère, Doll, et le cachent dans la ferme isolée du grand Dev, fragile colosse solitaire, trop sensible pour un rôle de caïd.

Dans ce petit monde où l’on se cabosse de génération en génération, entre pères absents et mères courage, sur une ligne d’horizon bornée par la débrouille, les joints et les pubs, personne n’a de quoi payer la rançon. Comme dans les meilleurs films de Ken Loach, il reste l’amour et la solidarité, même s’ils sont écorchés et hors la loi. Et des éclats d’humanité que Colin Barrett fait briller comme personne.

Ce roman beau et délicat rend grâce à une jeunesse perdue dont les rêves s’effilochent avant même qu’on y croie. Il touche au cœur et confirme la place unique de Colin Barrett sur la scène littéraire irlandaise contemporaine.

Ce que j’en dis…

Fils prodigues est une plongée sans concession dans le quotidien rude et redoutable d’une poignée d’habitants de Ballina, 10 000 âmes et pas grand chose à faire si on n’est pas pêcheur. Or, les personnages de Colin Barrett ne sont pas des pêcheurs mais des pécheurs, personne ne s’étonnera qu’il soit question d’accent, nous sommes en Irlande.

D’un côté les ravisseurs et le kidnappé au nom de poupée, de l’autre sa famille et la petite amie de Doll qui veulent le récupérer mais n’en ont pas les moyens. Alors ils vont chercher et trouver une solution, mais cela va faire une victime de plus dans l’histoire.

Aucun héros, que des paumés qui s’en sortent comme ils peuvent : mal.

Cependant ces personnages sont attachants, mêmes les méchants qui sont aussi pathétiques que patibulaires. Rien ne semble pouvoir les tirer vers le haut sinon l’amour, mais ils en sont tellement privés qu’il ont du mal à identifier ce sentiment lorsqu’il se présente, même en leur propre sein.

Pour autant, Fils prodigues n’est pas un livre désespérant. C’est la misère mais on ne baisse jamais les bras. Les valeurs véhiculées sont simples mais essentielles : l’amitié, le courage, la solidarité, la famille et l’amour. Même si tout cela est enfoui sous des tonnes de maladresse et une sorte d’incapacité à une forme de bienveillance qu’on aurait pu imaginer allant de soit dans un contexte différent et un autre milieu social.

S’il est vrai que la richesse appelle la richesse, il est sans doute tout aussi vrai que la misère appelle la misère.

Traduit de l’anglais (Irlande) par Charles Bonnot.

L’auteur

Crédit photo (C) Anoush Abrar

Né à Dublin en 1982, Colin Barrett a grandi dans le Comté de Mayo, dans l’ouest de l’Irlande.
En 2009, le Penguin Ireland Prize le distingue comme un jeune écrivain de talent.
Il a publié des nouvelles dans le Stinging Fly magazine, les revues A public space et Five Dials et dans le New Yorker.
Il a fait une entrée fracassante sur la scène littéraire internationale.
Traduit dans une dizaine de pays, Jeunes loups, (Rivages, 2016) a d’abord été publié par une petite maison d’édition irlandaise avant de connaître la gloire et de remporter de multiples récompenses comme le Guardian First Book Award.
Comparé aux Gens de Dublin de James Joyce par la presse anglaise, également lauréat du prestigieux Frank O’Connor Short Story Award, ce recueil de nouvelles dresse le portrait d’une jeunesse irlandaise en plein doute.

Fils prodigues est son premier roman.

Fils prodigues, de Colin Barrett est publié par les éditions Rivages.
Le livre broché de 350 pages est vendu 21€.
Paru le 5 mars 2025.

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