Lorsque j’étais enfant, ma mère nous amenait régulièrement ma sœur et moi à la bibliothèque de notre village. Adolescente, j’ai continué à m’y rendre seule. J’y ai découvert un bon nombre de lectures, certaines oubliées et d’autres tellement aimées que j’ai fini par acheter le livre pour l’avoir sur mes étagères. Parmi ces livres-là se trouve Miss Charity, qui était rangé dans la section jeunesse/adolescent. Il y a quelque chose d’inhéremment nostalgique aux livres qui sont illustrés par Philipe Dumas, ça m’a tout de suite attiré. C’est un livre pour enfant, mais comme toutes les bonnes œuvres, peu importe la cible, tout le monde peut l’apprécier.

Résumé
Charity est une fille. Une petite fille.
Elle est comme tous les enfants : débordante de curiosité, assoiffée de contacts humains, de paroles et d’échanges, impatiente de créer et de participer à la vie du monde. Mais voilà, une petite fille de la bonne société anglaise des années 1880, ça doit se taire et ne pas trop se montrer, sauf à l’église, à la rigueur. Les adultes qui l’entourent ne font pas attention à elle, ses petites sœurs sont mortes. Alors Charity se réfugie au troisième étage de sa maison en compagnie de Tabitha, sa bonne. Pour ne pas devenir folle d’ennui, ou folle tout court, elle élève des souris dans la nursery, dresse un lapin, étudie des champignons au microscope, apprend Shakespeare par cœur et dessine inlassablement des corbeaux par temps de neige, avec l’espoir qu’un jour quelque chose va lui arriver…
Ce que j’en dis
Le roman suit la vie de Charity, de son enfance au début de sa vie adulte. Charity est une fille dont la seule compagnie sont les petits animaux qu’elle trouve dans son jardin et sa bonne psychotique. Sa mère, très préoccupée par tout ce qui est convenable, préfère l’isoler plutôt que de risquer un faux pas social dans l’Angleterre étriquée du XIXe siècle. Ce développement à la marge sera d’autant plus apparent à chaque fois que Charity sera réunie avec ses cousines et la horde de jeunes gens qui les entourent. Ses centres d’intérêt, sa manière de s’exprimer la mettent hors des normes et feront d’elle la cible de piques et de moquerie voilée.
Plus tard, sous l’impulsion d’un personnage mentor, Charity essaiera de vendre des illustrations pour se faire de l’argent de poche parce que ses parents, bien que fortunés, ne trouvent pas convenable pour une fille de son âge de disposer d’un pécule. On la verra se passionner pour le musée d’histoire naturelle, les champignons et les moisissures qui se développent chez elle, et essayer d’en faire des aquarelles pour un livre scientifique à l’image de ce qu’elle voit au musée. Étant une jeune femme dans une vieille Angleterre, on y suivra aussi ses nombreuses déceptions.
Ce roman est très inspiré de la vie de Beatrix Potter, connue pour être l’auteur de Pierre Lapin mais qui était également une véritable scientifique, ce qui explique la précision remarquable de ses illustrations.
Le roman touche à énormément de thèmes : on passe par un asile de fou, une fumerie d’opium, un théâtre des bas quartiers, la campagne écossaise ; on y parle de mariage d’argent, d’avortement “à l’ancienne”, de déchéance sociale… Et on découvre tout à travers les yeux de Charity, une fille à la fois renfermée, vive, curieuse, inexpressive et très sensible.
Les personnages, comme dans la plupart des livres pour enfant sont très caractérisés et pourtant Marie-Aude Murail ne tombe jamais dans l’écueil de la caricature, on sent qu’ils ont chacun leur propre vie intérieure. Je pense notamment à Rose, la gouvernante française de Charity, qui est un être fragile, romantique et mélancolique, mais qui sera également une préceptrice compétente et efficace, un véritable soutien pour Charity, et qui vivra dans le roman une situation qui lui fera perdre tout un bras.
La forme comme le fond du roman font référence au théâtre : Marie Aude-Murail fait le choix intéressant d’écrire les lignes de dialogue comme une pièce de théâtre ; Shakespeare sera référencé de nombreuses fois, Charity s’ennuyant tellement qu’elle en apprendra les pièces par cœur. Oscar Wilde et Bernard Shaw feront même une apparition au cours du roman et seront cités de nombreuses fois.
Je crois avoir lu ce roman au moins cinq fois, et à chaque fois, j’y ai découvert un nouveau thème qui m’a touché. C’était drôle de relire ce livre à travers différentes périodes de mon adolescence et de ma vie de jeune adulte : de voir en rétrospective les choses que je comprenais pas, ne serait-ce que la scène à la fumerie d’opium à côté de laquelle j’étais complètement passée. J’ai fait lire ce livre à toutes mes amies qui aiment lire et qui ont bien voulu me faire confiance et quand on en parle ensemble, elles lui donnent le surnom affectueux et quelque peu subjectif de “meilleur livre du monde”.
