Le Docteur Jivago, de Boris Pasternak

J’ai eu ma période russe tant pour la littérature, surtout tolstoïenne, dont on retrouve des rapprochements chez Pasternak, que pour la musique. L’interprétation en concert, il y a plus d’une trentaine d’années du concerto pour piano n°2 de Rachmaninov par Mikhail Rudy, reste un souvenir qui m’émeut encore aujourd’hui…

En revanche, mea culpa, je n’avais pas lu Le Docteur Jivago ! Bien sûr, comme beaucoup de ma génération, je me suis familiarisée avec l’œuvre la plus connue de Boris PASTERNAK par son adaptation au cinéma, avec le couple mythique Omar Sharif /Julie Christie et la non moins célèbre « Chanson de Lara« .

Alain, un ami avec qui nous échangeons régulièrement nos coups de cœur littéraires, m’a prêté cette nouvelle traduction parue chez Gallimard et je m’en félicite : Un coup de maître ou plutôt de maîtresse ! La traductrice, Hélène Henry s’en explique dans la préface et son propos me semble tenir dans la dernière phrase que je vous cite :  » Cette nouvelle traduction s’est donc attachée à préserver la lisibilité générale du roman tout en donnant un équivalent en français de la marqueterie qu’est la langue de Pasternak, fruit de cette créativité intarissable qui trouve assurément l’une de ses sources dans son imagination de poète. » Et que l’idée vienne de la traductrice ou de son éditeur, merci d’éclairer le lecteur grâce au lexique en préambule avec tous les noms des personnages par ordre alphabétique. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de m’y référer à maintes reprises, surtout au début ! Mention spéciale aussi pour la qualité du papier et de l’impression de ce pavé de près de 700 pages.

Le résumé

A l’orée du XXe siècle en Russie, le jeune orphelin Iouri Jivago se destine à la médecine. Emporté par la marche de l’Histoire, cet homme ordinaire, à l’écoute du monde qui l’entoure, traverse la première moitié du siècle et les évènements qui modèlent profondément son pays. Au détour d’un champ de bataille; Jivago retrouvera Lara. tous deux mariés et habités par la question du bien, ils ne pourront résister à la passion qui les rapproche autant qu’elle les sépare, nouant à jamais leurs existences.

Véritable plongée au coeur du peuple russe, Le docteur Jivago nous offre à la fois une formidable histoire d’amour, une ode aux paysages de la Sibérie et un roman d’idées irrigué par la vie. Publié an 1957 en italien pour échapper à la censure soviétique, il fut traduit en français par quatre traducteurs anonymes en 1958. Cette nouvelle traduction, soixante-cinq ans plus tard, épouse au plus près la langue de Pasternak, faisant résonner les voix de chacun et les échos tant historiques qu’intimes, qui nous emportent dans un tourbillons d’intrigues et d’émotions.

Ce que j’en dis

Cette épopée couvre le début du XXème Siècle et ses bouleversements dans cet immense pays qu’était déjà la Russie et Boris Pasternak, poète reconnu mais en disgrâce à la fin des années quarante, fait cohabiter dans ce grand roman épique la petite histoire du couple que forment Lara et Iouri, avec la Grande. On entend bien dans les réflexions de Jivago, les propres désillusions de l’auteur quant à tous les espoirs qu’avaient suscités les idéaux menant à la révolution de 1905 puis à celle de 1917. Comme le laisse entendre les propos de Jivago p 332 à son interlocuteur qui, lui, parle de nécessité historique : « …j’ai été d’humeur très révolutionnaire, mais j’en suis venu à penser qu’on arrive à rien par la violence. On ne mène au bien que par le bien…« , voilà des paroles proches du message des Evangiles. D’ailleurs l’interprétation des textes sacrés tient une place prépondérante dans les dialogues et les réflexions des personnages.

Tout au long de la lecture du Dr Jivago, on ne peut que souscrire à cette pensée à propos de la poésie de Pouchkine p 358-59 :  » Comme s’ils faisaient irruption par la fenêtre, la lumière et l’air du dehors, le bruit de la vie, les choses, les substances sont entrés dans le poème. Les objets du monde extérieur, ceux de la vie quotidienne, les noms communs, se pressant et se bousculant, ont pris possession du vers, boutant dehors les parties du discours moins précises. Et, en lisière du poème, se dresse la colonne des rimes : des objets, des objets et encore des objets. » Ce qu’on a coutume d’appeler l’âme slave, avec la place prépondérante qu’occupe la poésie s’exprime entre autre dans la description que fait Pasternak des paysages comme p 445 où, tout en décrivant  » le temps le plus affreux qui soit « , la suite n’est pas sans émouvoir tant la musicalité dans la narration enchante le lecteur :  » L’averse fumait en glissant sans les imprégner sur les aiguilles vernies des conifères, comme sur une toile cirée. Les fils télégraphiques s’emperlaient de gouttes de pluie. Elles se pressaient l’une contre l’autre sans jamais tomber.« 

N’oublions pas que cette saga traverse une période troublée où les divisions de classes sont abolies, où toutes sortes de personnages se croisent et la gouaille du peuple donne aux dialogues un aspect truculent et rend le récit très vivant. Là encore, je veux souligner la rigueur et le soin apportés au travail de traduction.

C’est de la bouche de Larissa, à propos de son époux Pacha que Pasternak nous livre un constat désenchanté de son époque p 502 :  » Cette aberration collective s’était répandue partout, elle collait à tout. Tout se soumit à elle. Notre foyer ne résista pas à ce fléau. Il fut ébranlé. Au lieu de la vivacité insouciante qui y avait toujours régné, une stupide nuance d’emphase se glissa jusque dans nos conversations, une obligation à faire l’intéressant, à disserter sur des thèmes universels de commande. Un homme aussi fin, aussi exigeant que Pacha, capable entre tous de faire la différence, sans erreur, entre l’essence et l’apparence, pouvait-il passer à côté de cette imposture subreptice et ne pas la remarquer ?  » . Malheureusement, il faut croire qu’il fut loin d’être le seul, et pas qu’à l’aube du XXème Siècle, au regard de l’Histoire…

Et c’est bien évidemment de la poésie qui va clore ce grand roman, vingt cinq poèmes dont la plupart évoquent les saisons.

Alors lire ou relire cette œuvre magistrale dans cette nouvelle traduction, je ne peux que vous y encourager !

Le Docteur Jivago, de Boris Pasternak (nouvelle traduction de Hélène Henry) est édité par Gallimard.
Le livre broché de 704 pages est vendu 26 €.
Paru le 25 mai 2023.

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