Ce roman japonais tout à fait délicieux a enchanté un de mes trajets ferroviaires de plusieurs heures, par une journée grise et pluvieuse de fin d’automne. Je dirais même qu’il fait partie de ces lectures qui vous mettent de bonne humeur ! Pour ma part, c’est le plus souvent la musique qui produit cet effet. Là c’est l’élaboration des plats, décrite avec un tel pouvoir d’évocation, qui en soi apporte du réconfort . C’est en quelque sorte de “madeleines nippones” dont il est question dans ce livre.

Le résumé
Caché dans les ruelles de Kyoto se trouve le petit restaurant des Kamogawa d’où s’élèvent d’exquises odeurs de riz cuit, de nabe et de légumes sautés. En plus de savoureux repas faits maison, Nagare et sa fille Koishi proposent une expérience qui sort de l’ordinaire : reproduire un plat que leurs clients ont en mémoire, mais dont la recette est depuis longtemps oubliée. Nabeyaki udon, sushi au maquereau, tonkatsu ou spaghetti à la napolitaine…pour chaque nouveau plat, la famille Kamogawa enquête et propose à ses convives de déguster une nouvelle fois les délicieux mets qui ont marqué leur vie. Et grâce à un soupçon de magie, ces saveurs perdues enfin retrouvées permettent de rêver à de nouveaux départs. Portés par une atmosphère qui mêle nostalgie et douceur, six tranches de vie inoubliables pour tous les gourmands et amoureux de la gastronomie.
Ce que j’en dis…
Voilà un roman qui met en appétit dès les premières pages ! Les descriptions sont si expressives que le lecteur, pour peu qu’il soit aussi fin gourmet, peut presque humer les senteurs des plats en même temps que les convives qui ont le privilège de les savourer. De plus, l’emblématique restaurant “ Kamogawa” se trouve à Kyoto, ville qui me fait rêver et que je ne désespère pas de visiter un jour…
C’est dans ce cadre que la jeune Koishi et son père Nagare officient pour des clients triés sur le volet, non pas grâce à leur bourse, mais au prix d’efforts qu’ils devront déployer pour localiser ce restaurant. Pourtant, comme le dit Koishi à la plupart d’entre eux, “ malgré tout, vous avez réussi à nous trouver ”.
En l’occurrence, il ne s’agit pas seulement de restituer des souvenirs culinaires et c’est tout l’art de ce tandem père/fille. Outre les plats en eux-mêmes, c’est aussi avec beaucoup de soin qu’ils choisissent comment ils vont les servir, dans quelle vaisselle, souvent évocatrice comme page 242 où Hisahiko s’exprime ainsi : ” Ce serait le ragoût de ma mère ?… Un antique bol en porcelaine d’Imari Kurawanka en contenait une belle portion. En supplément, étaient disposés un bol de riz décoré de fines lignes d’un bleu de Cobalt vif, du chou chinois hiroshimana dans une petite assiette en célèbre céramique Shigaraki et un bol en laque rouge Negoro d’où s’élevait de la vapeur “. Au travers d’une enquête, à partir d’éléments souvent sporadiques, ce déclic provoqué par des saveurs d’autrefois, va permettre à chaque client de cheminer, de surmonter une perte, de se réconcilier avec un passé douloureux. Une psychothérapie qui passe par la mémoire olfactive, en quelque sorte…
Parmi ces tranches de vie, celle de Nabuko m’a particulièrement touchée. Jeune fille de bonne famille dans les années cinquante, elle va passer à côté de l’amour et je ne résiste pas à l’envie de partager avec vous ce bel extrait p. 88 : “ Il y a 55 ans, quand vous vous êtes enfuie du restaurant, vous avez oublié votre mouchoir, raconta Nagare. Le second est un cadeau de sa part, un mouchoir en broderie Swatow. Il est magnifique, non ? Il porte le nom de “ lueur de lune”. Son motif serait en lien avec le célèbre poème de Li Bai, poète de la dynastie Tang, La chanson des quatre saisons, automne. D’après mes recherches, ce texte parle de l’attente d’une personne, au loin, qui nous manque. Il l’avait envoyé chez vous avec votre mouchoir, mais le paquet a été refusé. Il a dû arriver en votre absence. Votre relation n’y a pas survécu… “
Se donner tant de mal pour les autres n’empêche pas Nagare de partager avec sa fille des repas tout aussi succulents. La politique de la maison y contribue assurément, à savoir que “ les frais d’enquête sont au libre choix du client ”, lequel client, souvent comblé, peut se montrer très généreux ! C’est le cas de son vieux collègue et ami Kuboyama, dont “l’obole” servira à accompagner un succulent dîner commémoratif, d’une bouteille de Mouton-Rothschild de 1958, excusez du peu !
J’ai appris tout récemment que ce premier tome avait une suite, Le restaurant des recettes oubliées – Deuxième service chez le même éditeur NAMI et je me suis précipitée chez mon libraire pour me le procurer. A mon humble avis, la qualité de la traduction par Alice Hureau n’est pas étrangère au succès de ces deux tomes. Et pour ceux qui sont attirés par la culture nippone, je recommande le dernier film de Wim Wenders tourné à Kyoto “ Perfect days” pour la prouesse d’acteur de Koji Yakusho et comme toujours chez ce cinéaste, outre la qualité cinématographique, pour la bande son !
Le restaurant des recettes oubliées, de Hisashi Kashiwai est édité par Nami.
Le libre broché de 256 pages est vendu 19€.
Paru le 19 avril 2023.
