Chronique japonaise de Nicolas BOUVIER

Nicolas BOUVIER, écrivain et grand voyageur rendu célèbre par “ L’usage du monde”, livre culte pour la génération qui a précédé la mienne. Pour ma part, à peine née à sa sortie, c’est plus tard qu’il a fait partie des quelques ouvrages qui ont marqué mon adolescence. C’est donc avec grand plaisir que je me suis plongée dans “Chronique japonaise”, l’édition de 1989 chez Payot, que m’a prêtée mon ami Alain.

Résumé :

Le voyageur est une source perpétuelle de perplexités, écrit Nicolas Bouvier. Sa place est partout et nulle part. Il vit d’instants volés, de reflets, de menus présents, d’aubaines et de miettes. »

Voici donc le Japon selon Bouvier. Un archipel pétri par l’histoire et le spirituel qui est autant le pays des Samouraïs que celui des humbles. Là où d’autres convoquent une bibliothèque entière pour se donner des airs de penseurs zen, Bouvier saisit l’odeur de l’air, la couleur d’un visage, une conversation dans la rue pour nous livrer en une ligne, le diamant d’une sensation.

La couverture a commencé par retenir mon attention, reproduction d’une estampe du grand artiste Hokusaï, connu du grand public pour sa fameuse grande vague bleue, emblème du Japon. Il est considéré comme le précurseur du manga, tant il a produit d’œuvres à vocation pédagogique, sortes de livrets destinés aux enfants. Très prolifique grâce à une longévité exceptionnelle pour l’époque, outre la vague en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt, il a d’innombrables estampes à son actif, toutes plus raffinées les unes que les autres, dont j’ai eu l’occasion récemment d’admirer quelques superbes pièces à l’exposition “Made in Japan” au Kunstmuseum de Bâle ( visible jusqu’au 21/07 ). Soit dit en passant, je vous recommande aussi le biopic Hokusaï réalisé par Hashimoto, sorti en 2020, qui retrace la vie dont les débuts tumultueux du peintre.

Mais revenons à l’œuvre de Nicolas BOUVIER et sa chronique nourrie de sensations et de réflexions recueillies dans “le cahier gris” lors de trois voyages au Japon allant des années 1950 à 1970.

Ce que j’en dis :

En érudit qu’il était incontestablement, son récit est construit en faisant alterner des chapitres sous forme de journal, avec d’autres consacrés à l’Histoire et à la culture de ce pays nimbé de mystère… Et de donner le ton avant les premières lignes par cet extrait mis en exergue du grand poète du XVIIIème siècle Ueda Akinari contemporain d’Hokusaï, qui permet à Nicolas Bouvier de sensibiliser le lecteur à son regard : “ …Quand ce qui se passe sous nos yeux même donne lieu aux rumeurs les plus trompeuses, à plus forte raison en est-il ainsi dans le cas d’un pays situé par-delà huit épaisseurs de nuées blanches.”

L’auteur choisit de ne pas nous relater ses séjours au Japon dans l’ordre chronologique mais plutôt de nous livrer ses impressions avec une grande acuité mais non sans se départir de son sens de l’humour et de la dérision. L’emploi, le plus souvent du présent, donne vie aux anecdotes racontées avec drôlerie et pourtant, certaines situations pourraient ne pas prêter à rire !
Pour qui ne connaît pas notre Helvète, voyager c’est s’immerger, c’est prendre le temps de vivre non pas à distance, mais avec les autochtones comme un ethnologue, qu’au demeurant il ne prétend pas être même si sa démarche s’en approche. Et de citer Claude Levy Strauss p 234 à propos des premiers habitants de l’île d’Hokkaïdo qu’il nomme l’île sans mémoire, le peuple des Aïnous, traités de rustres et cantonnés au folklore à l’instar des Américains de souche…

En réponse à la question p 265 : “Pourquoi nous parler si longtemps de ce Hokkaïdo où, vous l’avouez, il n’y a presque rien ?
D’abord parce qu’on en parle jamais, ensuite parce que, pour digérer l’énorme repas japonais, il faut prendre du recul et se retirer, par exemple, dans cette île négligée, forte seulement de son brouillard, de ses chevaux, de ses prés verts et de son vide…mais de ce vide, quel repos !”

Quand bien même ce que nous relate l’écrivain voyageur date de plusieurs décennies, la lecture de cet ouvrage, tant pour l’aspect historique que pour son analyse socioculturelle, permettra à ceux qui ont l’intention de visiter l’île du soleil levant de tenter de se familiariser avec un monde si lointain, à tous égards.

En refermant “Chronique japonaise”, on souscrit volontiers à cet adage qu’on prête à son auteur :”On croit faire un voyage, mais c’est le voyage qui vous fait.”

Chronique japonaise, de Nicolas Bouvier est édité chez Payot.
Disponible au format poche (même éditeur), 272 pages, 10€.
Paru (sous ce format, la VO n’est plus disponible à la vente) en mai 2015.

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