La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit – Edgar MORIN
Cet ouvrage résulte de réflexions, de compilations d’entretiens d’un des penseurs à la renommée mondiale, les plus emblématiques de l’époque contemporaine. Sa longévité exceptionnelle lui permet, comme peu ont eu la possibilité de le faire, d’analyser des événements marquants du siècle dernier et de celui en cours. C’est avec une acuité rare qu’il nous les expose, parce qu’il les a vécus pour beaucoup d’entre eux et qu’il bénéficie toujours des capacités intellectuelles lui permettant d’y revenir avec le recul nécessaire.
A l’instar des philosophes des Lumières, la curiosité insatiable d’Edgar MORIN, gage probablement de sa vélocité intellectuelle conservée, n’a pas faibli au cours du temps. Lui-même l’attribue aussi à une vie personnelle riche où des vertus comme la bonté, la capacité à s’émouvoir de petites choses de la vie et surtout l’amour partagé, nourrissent sa capacité à être heureux.

Le résumé
« Nous allons vers de probables catastrophes.
Est-ce du catastrophisme ?
Ce mot exorcise le mal et donne une sérénité illusoire. La polycrise que nous vivons sur toute la planète est une crise anthropologique : c’est la crise de l’humanité qui n’arrive pas à devenir Humanité. […]
C’est l’union, au sein de nos êtres, des puissances de l’Eros et de celles de l’esprit éveillé et responsable qui nourrira notre résistance aux asservissements, aux ignominies et aux mensonges. Les tunnels ne sont pas interminables, le probable n’est pas le certain, l’inattendu est toujours possible. »
Ce que j’en dis :
Parlons du choix du titre. S’il est minuit dans le siècle, emprunté à un autre ouvrage publié
en 1939, de Victor Serge d’origine russe qui y dénonce les purges staliniennes, auteur dont j’ignorais l’existence mais qui m’a rappelé une autre lecture plus récente d’un essai édité en 2019. Il s’agit du jeune philosophe Mickaël FOESSEL, qui évoque dans Récidive 1938 une sorte de bégaiement de l’Histoire. Son analyse comparative de la situation actuelle avec celle qu’a connue notre pays en 1938, croise les propos d’Edgar MORIN et donne à réfléchir p 87 « …J’ai vécu le somnambulisme dans la marche au désastre des années 30. Aujourd’hui, les périls sont tout autres, mais non moins énormes, et un nouveau somnambulisme nous assujettit. Selon la formule d’Héraclite « Eveillés, ils dorment ». Une différence et pas des moindres, qui revient en leitmotiv tout au long de l’ouvrage, à savoir la mondialisation des périls dont la récente crise sanitaire fut un exemple éloquent, couplée à une ère où l’information circule à la vitesse de la lumière …
La phrase en sous-titre : La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit, m’apparaît comme essentielle, d’autant plus aujourd’hui où tout un pan de la population est abreuvée d’informations quasi instantanées au travers des réseaux sociaux, pour certains seuls vecteurs auxquels ils se réfèrent. Edgar Morin nous met en garde contre cette forme de simplification.
Indéniablement, se pencher sur le passé permet de mieux comprendre le présent, raison pour laquelle les deux chapitres qui y sont consacrés où l’emploi du vocable « barbarie » pour l’un et « de guerre en guerre » pour l’autre, m’évoquent un autre grand penseur du siècle dernier qu’était Théodore MONOD. En introduction de la partie Les antidotes culturels européens , cette phrase p135 m’apparait comme fondamentale, à savoir « Cependant, le fil historique que je suis n’est pas pour moi un moyen d’exposition chronologique du phénomène de barbarie, mais un moyen pour sa compréhension » et d’ajouter les propos qui suivent p 252 auxquels je souscris totalement « Mon livre est une réflexion qui appelle à la lucidité, à la vigilance, à l’attention, à la diversité des sources d’information – et de ne pas se laisser tout de suite convaincre par une information, mais à attendre la confirmation »
En observateur avisé de notre époque, Edgard MORIN exprime clairement son inquiétude pour l’avenir, quant à ce qu’il dénonce comme étant « une grave carence de la pensée à tous les niveaux ». Face à notre cécité qui risque de nous mener à une catastrophe planétaire, augurons que son plaidoyer contribuera à éveiller les consciences…
S’il est minuit dans le siècle, d’Edgard Morin est publié aux éditions de l’aube.
Le livre broché de 288 pages est vendu 24€.
Paru le 14 juin 2024.
