La littérature francophone ne se limite pas à l’Europe – il est bon de (se) le rappeler – et on éprouve toujours un plaisir particulier à lire des ouvrages dont l’auteur vit outre-Atlantique ou de l’autre côté de la Méditerranée.
Ici, il s’agit d’une autrice québécoise qui nous offre son premier livre : Une histoire silencieuse.

Le résumé
Thérèse, sur les photographies, semble ailleurs, le regard absent. On dirait qu’elle retient son souffle, protégeant un secret ou ravalant un cri. Depuis plus d’un demi-siècle, Thérèse Lefebvre, née Larin, est disparue et on n’a plus jamais reparlé de tout ça. Alexandra Boilard-Lefebvre, sa petite-fille, souhaite pourtant redonner corps à cette femme qu’elle n’a pas connue, la matérialiser. Elle enquête, elle retrace, elle enregistre et retranscrit, pour remplir les trous de l’histoire. Elle écrit les joies et le drame de cette jeune femme qui, comme tant d’autres housewives des décennies d’après-guerre, a vu ses aspirations englouties dans le confort de banlieues uniformes.
Une histoire silencieuse est l’aboutissement d’un attentif travail de mémoire au plus près des surgissements fantomatiques du passé, et la silhouette de Thérèse apparaît progressivement parmi les mots et les souvenirs, dans la scansion des voix et la blancheur des images.
Ce que j’en dis…
La Peuplade est une maison d’édition québécoise et c’est un honneur pour moi de la découvrir à l’occasion de la sortie du premier roman d’Alexandra Boilard-Lefebvre.
Ce livre d’une grande originalité frappe d’abord par sa construction narrative : elle se constitue autour de descriptions de photographies d’époque, dont la très belle illustration de couverture, et de retranscription d’entrevues de membres de la famille de l’intéressée accordées à l’autrice. Une intrigue familiale qui devient un roman ? Non, pas vraiment, plutôt une enquête que l’on suit pas à pas sur les traces d’une grand-mère qui fut auparavant épouse puis mère puis qui cessa d’exister.
Pourquoi cette disparition ? Qui était réellement Thérèse Lefebvre ? C’est ce que l’autrice va chercher à deviner, à comprendre avec ce qu’elle a à sa disposition : des albums photos et des membres de sa famille à qui elle peut poser des questions.
Pour les lecteurs québécois il n’y aura sans doute rien de particulier aux retranscriptions des discussions que l’autrice a avec les uns et les autres mais pour le lecteur français que je suis il y a la singularité de cette francophonie outre-Atlantique, certes un peu différente des habitudes langagières hexagonales mais très facilement accessible. Par ailleurs, le texte des transcriptions est regroupé par groupes de mots, ce qui donne un rythme particulier, une musique qui accompagne chacune des confessions et des témoignages. On y retrouve facilement les hésitations, l’enthousiasme ou la gène à l’évocation de certains souvenirs joyeux, douloureux ou enfouis et c’est une très belle idée de présenter le texte sous cette forme.
La description des photographies est rédigée dans une langue plus académique mais elle montre le profond et ardent désir de l’autrice de comprendre, d’interpréter ce qui pourrait ne rien dire. Elle nous apprend à regarder autrement.
Pour ce qui est du fond, Alexandra Boilard-Lefebvre aborde le thème difficile des housewives, ou femmes au foyer, une condition longtemps considérée comme un idéal de vie : avoir assez de revenus de la part de Monsieur pour que Madame n’ait pas besoin de travailler et puisse se consacrer entièrement à sa famille et sa maison. Même s’il existe aujourd’hui encore un courant qui promeut ce type d’existence, en particulier sur les réseaux sociaux, Une histoire silencieuse lève le voile pudiquement et laisse à entrevoir ce que cette condition peut contenir de malaise, de mal-être et d’empêchement à la liberté.
Un roman original, touchant, tout en douceur et en humanité qui donne à réfléchir sans brutalité et sans revendication. Intelligent, en somme.
L’autrice

Alexandra Boilard-Lefebvre est née à Québec en 1992. Sa pratique artistique est nourrie par le dialogue entre les genres et les disciplines, par la recherche et par l’expérimentation. Une histoire silencieuse est son premier livre.
Une histoire silencieuse, d’Alexandra Boilard-Lefebvre est publié par les éditions La Peuplade.
Le livre broché de 256 pages est vendu 20€.
Date de parution prévue : 16 janvier 2025.
