C’est le quatrième titre en lice pour le Prix des lecteurs Quais du polar 2025 qu’il m’est donné de lire et je vous garantis qu’il ne va pas être simple de délibérer !
Celui-là est le plus épais de tous, ce qui, en ce qui me concerne, n’est certainement pas rédhibitoire.

Le résumé
Lorsque le détective frappe à la porte de la minuscule maison où Ellie a trouvé refuge, le moment est venu de raconter. L’amour pour May. Le départ de celle-ci, harponnée par son rêve de baleines. Loin d’Eureka, cette ville dévote, cernée de gigantesques champs de maïs.
Peu à peu se dessine une enfance, auprès d’un père rigoriste et violent, dans l’orbite des grands propriétaires de la région. Alors qu’Ellie fait tout pour partir à la poursuite de May, le chemin qu’a suivi sa mère se révèle sous ses pas, faisant surgir son fantôme.
Ellie découvre alors ce qui hante Eureka, les choses qu’on y tait, celles qu’on n’ose dire qu’à travers la Bible. Et quel fut le destin de la fragile et scandaleuse Eleanor, qui ne voulait pas se soumettre. Dans un premier roman qui impressionne par sa maîtrise et la beauté de son écriture, Anne-Sophie Kalbfleisch suit le passage à l’âge adulte de deux jeunes êtres en quête de liberté, Ellie et May, l’énigmatique et la volcanique.
Ce que j’en dis…
Il n’y a pas un seul des bouquins en lice pour le Prix des Lecteurs QDP 2025 qui ne m’ait laissé sur mon séant jusqu’à présent. Eureka dans la nuit me frappe peut-être particulièrement parce qu’il s’agit d’un premier roman. Et comme le précise le résumé de l’éditeur, Anne-Sophie Kalbfleisch fait effectivement preuve d’une impressionnante maîtrise de l’écriture.
D’abord il y a cette prouesse que je veux souligner : arrivé à la fin du livre, je suis toujours incapable de déterminer si Ellie est une fille ou un garçon et je note que le résumé ne trahit rien de la question. Ce détail qui n’en est peut-être pas un donne une dimension particulière à la lecture. Je me suis trouvé au défi de découvrir le genre d’Ellie, bien que cela n’ait absolument aucune incidence sur le récit. Donc, rien que pour ça, chapeau !
Puis il y a la construction. Le roman est polyphonique, on y trouve tour à tour Ellie, May, Eleanor ou Céleste, chacun(e?) en prise avec ses envies et ses peurs, ses traumatismes et ses espoirs. Toutes ces voix ont en commun Eureka, cette bourgade de l’Amérique profonde, triste à en pâlir alors que le vaste monde semble si prometteur. Il y règne une intolérance religieuse qui n’a d’égale que son hypocrisie, c’est sans doute un lieu commun mais ça marche à tous les coups. Entre rigorisme et déviance il y a un gouffre mais certains le franchissent sans difficulté et sans honte. Un autre antagonisme au cœur du roman est d’ordre social : les riches et les pauvres, là aussi séparés par un gouffre, mais celui-ci est infranchissable, croire le contraire relève du rêve, lequel peut facilement tourner au cauchemar.
Au commencement on comprend mal ce qui relie ces différents protagonistes mais petit à petit les choses se mettent en place, révèlent au lecteur patient une vision plus claire de l’intrigue comme l’astre qui illumine progressivement le jour de sa lumière.
Anne-Sophie Kalbfleisch m’a conquis avec ce roman dont, curieusement, je ne me rappelle le titre que difficilement. Eureka quoi ? Eureka dans la nuit, je vais tâcher de ne plus l’oublier.
L’autrice

© Karel Duerinckx-Fondation Vocatio
Née en 1988 à Bruxelles, Anne-Sophie Kalbfleisch enseigne la physique. Elle a participé en tant que commandante à une simulation de mission sur Mars dans le désert de l’Utah, expérience qui lui a inspiré ce récit ancré dans l’Amérique profonde, ses ambiguïtés et ses inégalités. En 2015, elle a été lauréate du Prix du Jeune Écrivain pour sa nouvelle Un ours, et d’autres évidences.
Eureka dans la nuit, d’Anne-Sophie Kalbfleisch est publié aux éditions Le Rouergue.
Le livre broché de 380 pages est vendu 22€.
Paru le 21 août 2024.
