C’est après avoir évoqué une série documentaire consacrée au Goulag diffusée l’été dernier sur Arte que mon ami Alain m’a prêté ce livre traitant du même sujet.
Varlam, titre choisi par l’auteur de cet ouvrage passionnant, en hommage au grand poète russe Varlam Chalamov, sera aussi le nom donné à un des personnages présent tout au long de ce périple à travers la Sibérie : Un tout petit chaton famélique, sauvé in extremis et dont le regard implorant va attendrir toute l’équipe.

Le résumé
Lors du tournage d’un documentaire sur les camps du Goulag de la Kolyma, région de Sibérie orientale que les Russes appellent « l’enfer blanc », l’auteur fait la rencontre inattendue d’un chat abandonné transi de faim et de froid. Il décide de le sauver et le baptise Varlam, en hommage au grand écrivain Chalamov, rescapé des camps et auteur des Récits de la Kolyma.
Avec lui, de Iakoutsk à Magadan en passant par la « route des ossements », il va parcourir la Sibérie, filmant les vestiges des camps, recueillant le témoignage des survivants, remontant le temps de la période stalinienne jusqu’à la fermeture du Goulag en 1956, trois ans après la mort du dictateur.
Dans ce road-book polaire, Michaël Prazan nous propose une mosaïque de séquences mémorables, évoquant un des chapitres les plus sombres de l’Histoire de la Russie.
Ce que j’en dis…
Lors de la préparation de ce voyage pour le tournage du documentaire “Goulag(s)”, Michaël Prazan s’inspirera entre autre des mémoires de Chalamov dans ses “Récits de la Kolyma”, puisque lui-même y fut détenu et a pu témoigner de toutes les atrocités commises. C’est une institutrice de Tomtor, bourgade où l’équipe va séjourner par -50°C, qui est la gardienne d’un musée consacré au patrimoine transmis par tous ces écrivains victimes des répressions. Chalamov en fut le plus emblématique et le plus prolifique, en témoigne sa correspondance avec Boris Pasternak. Elle confiera aussi à Asia l’interprète et assistante du tournage, la phrase qui a envoyé son père au goulag lors d’une remise de décoration : “J’aurais préféré de la nourriture pour mes enfants plutôt que cette médaille.”
Ce récit se révèle glaçant, tant par l’évocation des températures extrêmes que l’auteur excelle à nous faire ressentir, que par l’Histoire, la grande qu’il fait revivre au travers des lieux et des quelques témoins oculaires des camps de prisonniers. C’est aussi celle de la “route des ossements” qui porte bien son nom, puisqu’elle fut la sépulture d’innombrables Zeks, ceux même qui l’ont construite de leurs mains dans les conditions les plus inhumaines, pendant les années sombres de l’ère stalinienne.
Sans vouloir hiérarchiser car tel n’est pas le propos, je me range à l’avis de l’auteur quant aux arguments avancés pour réfuter les comparaisons faites entre le goulag et les camps d’extermination nazis. Il s’en explique p. 236 : Quand on était juif sous le nazisme…on savait à quoi s’en tenir…alors que le Goulag pouvait frapper et faire disparaître n’importe qui, du jour au lendemain… Au moindre caprice du pouvoir, ou simplement pour répondre aux quotas et aux besoins en main d’œuvre, vous pouviez être arrêté et déporté. L’arbitraire était la clef du système, le lieu même de la terreur qu’il inspirait.”
Et de la main d’œuvre il en fallait pour exploiter le sous-sol de cette région inhospitalière, riche de “presque tout le tableau périodique de Mendeleïev” ! Ce fut le fief de la Dalstroï dont Berzine, un proche du pouvoir, fut le premier directeur dans les années 30, mais le pire est à venir…
De l’endurance et de l’opiniâtreté, il en a fallu à cette équipe de tournage pour braver toutes les difficultés liées à la rigueur du climat, à l’étendue des territoires parcourus sur des routes dangereuses, aux conditions d’hébergement spartiates, à la méfiance des autochtones comme la tribu des Evenks, éleveurs de rennes et régis par un système matriarcal, sans parler des tracasseries administratives…Certes, mais ces quelques lignes donnent au lecteur l’occasion d’imaginer ces décors oniriques : « Le paysage, spectral et fantastique, est digne d’un film de Tim Burton. Les mélèzes aux branches folles sont comme vitrifiés, prisonniers d’un cocon de glace, »
Au travers de ce récit et des contacts pris pour étayer son sujet, Michaël Prazan ne manque pas de rendre hommage et de souligner le travail titanesque de recherches documentaires et de réhabilitation effectué par les membres de l’association Mémorial, aujourd’hui dissoute, malheureusement.
Varlam, de Michaël Prazan est publié par les éditions Payot et Rivages.
Le livre broché de 256 pages est vendu 21€.
Paru le 1er mars 2023.
