Tout comme sa compatriote Aki Shimazaki dont j’ai lu quelques pentalogies, l’écrivaine nippone Yôko Ogawa est éditée chez Actes Sud, dans une traduction remarquable de Sophie Refle.
Pour tout vous dire, c’est l’illustration dans des tons pastels de “Scènes endormies dans la paume de la main”, avec ce titre tout en poésie, qui a capté mon attention.
Ignorant tout de l’auteure, j’ai entamé la lecture de la 4ème de couverture sur l’étal de mon libraire. Et là j’apprends que Yôko Ogawa a publié une trentaine d’ouvrages et que sa notoriété dépasse amplement son pays d’origine…

Le résumé
Le théatre, la danse, l’opéra, c’est là que se déroulent ces histoires d’incarnation, ou tout au contraire de vécus par procuration. Huit nouvelles où l’individu rentre dans la peau d’un autre. En pleine lumière, il oublie sa condition et cela grâce au jeu de scène, cette excellence dans l’interprétation que l’artiste passe une vie entière à travailler pour atteindre l’absolu dédoublement, générer l’envoûtement d’un parterre d’inconnus subjugués. Puis, ces histoires se diffractent, se focalisent sur la proximité entre ces êtres de lumière et leur public. Tout près d’eux, transportés le temps d’une représentation, de la signature d’un autographe, voire d’une main tendue ou d’un simple sourire, des inconnus se trouvent soudain au coeur d’un sentiment tout droit revenu de l’enfance : l’admiration.
Yôko Agawa poursuit la composition d’une oeuvre incomparable, un univers subtile, paré de doubles fonds, de contrechamps, d’une alternance de perspectives qui révèlent peu à peu nos émotions anciennes, heureuses, bien qu’oubliées.
Ce que j’en dis…
“Scènes endormies dans la paume de la main”, ce titre énigmatique et néanmoins évocateur dépeint à merveille l’univers tout à fait singulier qui émane de ces huit nouvelles, toutes en lien avec le monde du spectacle. S’en dégage une atmosphère à la fois douce et mélancolique, teintée d’onirisme, de la poésie en prose en somme.
Dans la première nouvelle intitulée « Des ailes avec des empreintes de doigts« , une de mes préférées, l’auteure plante le décor : Une petite fille qui joue seule avec des objets insolites, dans un lieu étrange en l’occurrence une usine désaffectée. Parmi ces outils devenus ses jouets, une pince à long bec et voilà ce qu’il en résulte p 30 : “ Parce qu’il a du jeu, le pivot devient le ressort qui lui permet d’atteindre des points absolument hors de portée. La petite fille prévoit quel sera son prochain objectif et fait tournoyer la pince à musique. Il lui suffit de l’effleurer pour que naisse un mouvement inimaginable. La pince oublie ce à quoi elle a autrefois servi et fait entièrement confiance aux dix doigts immatures qui la manipulent.”
Les personnages de ces huit nouvelles ont cela en commun que l’auteure ne nous dévoile rien ou pas grand chose de leur passé mais elle nous laisse entrevoir les failles de leur existence solitaire. Tous semblent aussi évoluer dans un monde décalé, à la Lewis Caroll, où la notion du temps prend une autre dimension et où l’imaginaire habite le quotidien.
C’est d’ailleurs dans la nouvelle “Etreindre la licorne” que se trouve, me semble-t-il, la clé du choix du titre de ce recueil, comme en témoignent les propos de la nièce de Laura qui, en enfilant un gant en cours d’ébauche, se fait cette réflexion : “ Ce n’est qu’à ce moment-là que je me suis aperçue que le motif n’était pas sur le dos de la main mais sur la paume…En exposant ma main gauche à la faible lumière de la lampe de chevet, j’ai vu que le dessin représentait la moitié d’une licorne.”
En refermant ce livre et sûrement parce que les scènes se déroulent au Japon, quoique que le lieu ne semble pas être déterminant, des images du très beau film Perfect days de Wim Wenders sont remontées à ma mémoire. Le personnage magistralement interprété par Koji Yakusho aurait pu figurer dans une des nouvelles de Yôko Ogawa, écrivaine reconnue à juste titre…pour ma part une bien belle découverte !
Scènes endormies dans la paume de la main, de Yôko Ogawa est publié par les éditions Actes Sud.
Le livre broché de 288 pages est vendu 22€.
Paru le 2 avril 2025.
