Deux raisons ont fait que mon regard s’est attardé sur le titre de cet ouvrage de Emmanuel Ruben : Un séjour au Japon programmé pour cet automne et l’allusion dans le titre à “L’usage du monde “. Nul besoin d’être devin pour en déduire que son mentor en matière de récit de voyage n’est autre que Nicolas Bouvier !
A priori, il n’en fallait pas plus pour que cette belle édition fasse partie de ma PAL…
En réalité si, et c’est l’illustration de couverture, ce dessin de l’auteur, qui y a contribué largement. Lui-même ne manque pas de nous confier que sa “ plus belle rencontre avec le Japon fut la découverte en classe de troisième de la vague de Hokusaï, que notre prof de dessin nous avait invité à reproduire pour nous apprendre à dessiner le monde dans un camaïeu de bleu.” Autant le dire tout de suite, c’est réussi !

Résumé
En novembre 2023, Emmanuel Ruben s’envole avec son vélo pour le Japon. Il y passe quatre mois et en revient avec ce journal de bord émaillé de dessins et d’aquarelles en hommage à Nicolas Bouvier, l’auteur de L’usage du monde.
Du nord glacial au sud verdoyant, en passant par les pentes du mont Fuji, l’auteur sillonne ce territoire étiré sur quinze degrés de latitude, et partage avec nous ses extases et ses déconvenues, ses méditations zen et ses aventures étonnantes dans un monde à nos antipodes.
Cartographe amoureux des îles et des montagnes, des villes et de leurs temples, il pédale sur les traces d’un autre arpenteur, Ino Tadataka ( 1745-1818), qui parcourut quarante mille kilomètres pour mesurer les côtes de l’archipel.
Une réjouissante exploration géographique autant qu’intime d’un pays qui nous fascine.
Ce que j’en dis…
Dès les premières pages, Emmanuel Ruben, cartographe de son état, gratifie son lecteur de deux exemplaires de toute beauté, à différentes échelles . On y découvre en pointillés rouges, l’itinéraire qu’il a emprunté à vélo, en plein hiver, sur les traces de son illustre prédécesseur Ino Tadataka, parfait inconnu pour qui n’a pas fréquenté les bancs des écoles nippones…mais ô combien célèbre dans l’archipel du soleil levant.
Son périple débute un mardi de novembre 2023, le 14 précisément pour se terminer le lundi 11 mars de l’année suivante. L’auteur nous fait part journellement de ses observations et de ses impressions, une à deux pages, parfois plus, auxquelles s’ajoutent de belles esquisses et autres aquarelles comme celle remarquable, dans ces fameux dégradés de bleu, qui illustre une journée de mi-décembre au pied du mont Fuji tout comme celle, fin janvier qui représente un grand torii rouge devant le mont Ibuki.
Pour qui s’intéresse à ce pays, on ne peut que souscrire à ses réflexions dans les pages “ Apprendre les kanji jusqu’au bout de la nuit”, à propos des difficultés qui exigent de la persévérance voire de l’opiniâtreté pour des novices, à tenter de déchiffrer la calligraphie. Emmanuel Ruben utilise une belle métaphore, à savoir celle de la danse et plus précisément du tango pour donner à comprendre, l’art de tracer les caractères. Alors s’y essayer, n’y pensez même pas sauf si vous êtes dotés, ce qui n’est pas mon cas, d’une patience infinie ! A défaut d’idéogrammes, l’auteur manie habilement le pinceau pour esquisser deux tiges de bambou, d’une grande élégance figurant au début du récit.
A l’aide d’un croquis inaugurant le jour de l’an 2024, l’auteur nous rappelle aussi que le Japon est une terre volcanique où quatre plaques tectoniques se chevauchent et où les secousses rythment la vie des insulaires…Et de faire l’apologie d’un autre grand voyageur que les lieux inspirent, le cinéaste Wim Wenders dont le dernier film “Perfect days”, tourné à Tokyo, est une pure merveille !
Son modèle en matière de narration, l’écrivain suisse Nicolas Bouvier dont la “Chronique japonaise” reste une référence, apparaît tout au long du récit. Avec une grande clairvoyance, Emmanuel Ruben ne manque pas de souligner p 224 que “ la géographie de Bouvier est fondamentalement humaine : ce qui l’émeut, ce n’est pas le paysage mais le visage…avant même d’être un écrivain, Nicolas Bouvier a très tôt appris à lire dans les plis de l’âme.” Ce en quoi, l’auteur s’éloigne de son mentor, sachant que le fil rouge de son voyage reste de suivre les traces de l’illustre géographe Ino Tadataka, par définition attaché aux lieux. Personnage si célèbre que, pouvoir accéder à une copie d’une carte datant de l’ère Meiji relève des douze travaux d’Hercule, tant la bureaucratie nippone se montre sourcilleuse !
A l’instar de la beauté des relevés d’Ino Tadataka alliant esthétique et rigueur scientifique, les paysages traversés par l’auteur sont décrits dans des termes poétiques faisant de cette lecture un moment très agréable, propice à la rêverie et qui pour ma part, sera bientôt une réalité, j’y compte bien !
L’usage du Japon de Emmanuel Ruben, est publié par les éditions Stock.
Le livre de 180 pages est vendu 21, 90€.
Paru le 2 avril 2025.
