Quel vibrant hommage que celui rendu par l’écrivaine Violaine Lison à ce témoin de la grande guerre Léonce Delaunoy, qui la traversa en tant que brancardier, pour succomber à moins d’un mois de l’armistice !

Résumé :
Lorsque Violaine Lison reçoit en dépôt les carnets de Léonce Delaunoy, elle est frappée par la beauté et la force de l’écriture de ce jeune homme mobilisé comme brancardier lors de la Première Guerre mondiale.
Malgré les horreurs de la guerre, Léonce reste proche de la nature – décrivant comme personne les paysages, l’Yser, les oiseaux – mais aussi de ses idéaux d’amitié. Le récit de la «guerre de Léonce» se déploie sous les yeux de Violaine. Pourtant, très vite elle sent que «quelque chose» ne va pas. Des manques apparaissent. Des incohérences. S’agit-il d’un faux, d’une retranscription ? Une forme d’enquête historique et littéraire commence…
Lorsque l’autrice retrouve les carnets originaux, elle comprend que le journal de Léonce a été recopié par Paul, un ami très proche de Léonce. Mais la retranscription est lacunaire. Les parties censurées parlent de l’absurdité de la guerre, du désespoir, de l’envie de mourir, mais aussi d’une amitié amoureuse pour Herman, troisième personnage de cette histoire. Quel intérêt avait cette censure ? Faire de Léonce un héros ? Gommer l’amour porté à un autre homme ? Violaine ne tranche ni ne juge, elle tisse son récit entre les carnets, approche la vie de Léonce tout en racontant sa propre quête.
Lequel de nous portera l’autre ? est un récit polyphonique, où les voix de Léonce et de Violaine s’entremêlent, se répondent et se questionnent. Cent ans les séparent, pourtant le texte de Léonce Delaunoy résonne avec une modernité frappante. Et c’est tout l’art de Violaine Lison que de nous ancrer dans le réel tout en laissant une place à l’inattendu des mots. Il en naît une rencontre rare et précieuse.
Ce que j’en dis :
J’ai été très touchée par la narration mais aussi par la construction de ce récit où les voix s’entremêlent, celle de Léonce, retranscrite depuis ses carnets et les réflexions qu’ils suscitent chez l’auteure. De plus, l’idée d’introduire chaque chapitre par un objet ou une photo ayant appartenu à Léonce, chacun à sa manière révélateur d’un fragment de vie du jeune homme qui se destinait à la prêtrise, donne vie au récit.
Comme l’évoque si bien Jacques Prévert dans un des poèmes du recueil Paroles,“ Quelle connerie la guerre”, elle qui en faucha tant d’autres, sacrifiés à la fleur de l’âge sur l’autel des vanités !
Rien d’étonnant à ce que certaines pages aient été censurées ! Léonce Delaunoy y dépeint avec des mots lourds de sens, l’état d’avilissement dont il est le témoin quotidien au cours de cette horrible boucherie que fut 14-18. Ainsi s’interroge-t-il en février 1918 : » Eh bien ! Civilisation ? Je viens de la voir se révéler magnifique, la civilisation des gars du vingtième siècle, riant des morts et en faisant leur jouet. Quand ils les trouvaient consumés, blancs, à la pioche et à la pelle, ils brisaient les os, les arrachaient au sol boueux et les jetaient dans la tranchée en construction. Quand ils les trouvaient en assez bon état, ils les fouillaient malgré l’épouvantable odeur, prenaient montres, argent, papiers, portraits. Ils jetaient dans un trou d’obus papiers et portraits et s’en allaient avec leurs dépouilles immondes… »
C’est sans aucun doute dans les parties où sont évoquées l’amitié qui lie Léonce à celui qui fut le dépositaire de ces carnets et qui les transmettra à sa sœur Marie que Violaine Lison trouvera le titre de son ouvrage. Ce Paul, fidèle entre tous, quand bien même leurs chemins s’éloignèrent à la venue d’un troisième personnage cher au cœur de Léonce, Hermann…
En dépit du chaos ambiant, le jeune homme parvient à rester sensible à la beauté de certains paysages avant que l’homme ne les ravage, au chant des oiseaux quand les canons se taisent… Il l’exprime en termes poétiques particulièrement touchants et Violaine Lison a su les mettre en valeur comme on peut le lire p. 52 : » Les oiseaux traversent les carnets de Léonce à tire-d’ailes, de page en ciel. Ils se posent sur les lignes, roucoulent, hululent, s’ébrouent, puis repartent, seuls ou en nuages. Certains nichent dans ses marges, d’autres picorent ses points de suspension. »
Cet ouvrage m’a donné l’occasion de découvrir une maison d’édition en Belgique qui porte un très joli nom : Esperluète éditions, dont je salue au passage le travail remarquable tant pour la mise en forme et particulièrement la mise en valeur des illustrations, que la qualité du papier à laquelle je reste très sensible.
Lequel de nous portera l’autre ? de Violaine Lison est publié par les éditions Esperluète.
Le livre broché de 208 pages est vendu 22€.
Paru le 17 octobre 2025.
