Poèmes de la brèche de Maksym Kryvtsov

Nul besoin de vous présenter la maison d’édition Bleu et Jaune, dont l’objectif est de promouvoir la littérature des pays d’Europe de l’Est. A cette fin, mon
ami Christophe, animateur de ce blog a été destinataire de deux recueils de poésie de jeunes auteurs ukrainiens, dont l’un, Nous étions là d’Artur Bron, a déjà fait l’objet d’une chronique. Il m’a confié le second, Poèmes de la brèche, qui sera aussi le dernier de son auteur, Maksym Kryvtsov.

Résumé

Ces poèmes écrits depuis les tranchées frappent comme des éclats d’obus : ils blessent, éclairent, réveillent. Ils disent les terribles souffrances et les modestes rêves des soldats. Ils capturent l’humanité de chacun, révélant la beauté fragile de la vie même au cœur de la destruction. Ils laissent une empreinte indélébile. Ils sont un testament littéraire.

Ce que j’en dis

Tout d’abord un mot sur l’illustration de couverture qui dépeint parfaitement l’atmosphère qui se dégage de ce recueil où les individus tendent à être réduits à de simples opérants voire à des matricules. Quant au choix du titre, la brèche, vu sous l’angle militaire, ce mot se rapporte à une trouée dans la ligne de défense. Mais en faisant des recherches sur les différentes utilisations de ce terme, j’ai découvert qu’il peut aussi, au sens religieux, emporter l’idée dans l’expression “ se tenir à la brèche”, d’intercéder pour quelqu’un dans la prière.

Personnage en soi, la guerre omniprésente, est évoquée comme une espèce de fatalité à laquelle on ne peut échapper, un cauchemar éveillé où les décors s’apparentent aux films réalistes en noir et blanc. Telles ces paroles extraites d’un de ses poèmes Et quand la groseille du jour a basculé :
Quand on m’a demandé : En quelle saison sommes-nous ? J’ai répondu l’obscurité, le noir, comme le grain brûlé…
Et si on me demande : D’où viens-tu ? Je dirai : Du brouillard.
Et si on me demande : Quel est ton nom ? Je ne dirai rien. J’ai oublié.”

L’auteur exprime le plus souvent son ressenti dans de courtes strophes, voire des successions de mots dont on peut imaginer la sonorité dans la langue originale, certains poèmes lus par l’auteur étant accessibles via un QR code…
Il émane de la plupart de ces vers une tension, une sensation d’oppression que peut ressentir le lecteur qui, toute proportion gardée, se trouve transposé dans cet innommable chaos.

Pourtant et en dépit de la désolation qui l’entoure, Maksym Kryvtsov glisse en filigrane, des vers sur la nostalgie des jours heureux, par l’évocation de gestes tendres comme les doigts passés dans les cheveux de sa bien aimée et aussi de ce que fut une enfance insouciante.

On perçoit la solidarité teintée d’affection profonde qui lie des frères d’armes, comme ce poème très émouvant Il était né à Kakhovka, dédié à son ami d’infortune, surnommé Batman. “ Il s’est fait surprendre par la guerre, comme on se fait surprendre alors qu’on mange le soir un morceau de gâteau qui était pour le lendemain.”
A sa lecture, je n’ai pu m’empêcher de réécouter un enregistrement en live ( Berlin 2007 ) et de fredonner les paroles de Brothers in Arms, sur les notes de guitare de Mark Knopfler du groupe mythique Dire Straits. Ceux de ma génération s’en rappellent inévitablement…

Celui, le poète qui choisit de combattre pour son pays et qui y laissera sa vie, évoque aussi ses questionnements quant au rôle de la religion et son immixtion dans ce conflit fratricide, comme dans cet extrait de Je prends des Vog :
Les chérubins transportent des munitions
Les séraphins les déposent parmi les lignes fortifiées.

Jean baptise la poudre à canon
Sous la surveillance de Dieu et de Péroun.

Que retenir de ce recueil de guerre ? Noirceur et destruction, pas seulement … Comme le laisse entendre le poème intitulé Je me promenais dans les bosquets, qui termine par ces mots : Où sont mes rêves ? Regarde, ils se cachent dans les tranchées, Maksym Kryvtsov a su, par son regard bienveillant, faire ressortir la part d’humanité et la fragilité des êtres derrière les uniformes.
A lui qui n’est plus de ce monde, je dédie ces paroles d’un autre poète qui n’est autre que le québécois Raymond Lévesque dans cette magnifique chanson maintes fois reprise :
Quand les hommes vivront d’amour
Ce sera la paix sur la terre
Les soldats seront troubadours
Mais nous, nous serons morts mon frère.

Poèmes de la brèche, de Maksym Kryvstov est publié par les éditions Bleu et Jaune.
Le livre broché de 200 pages est vendu 22€.
Paru le 16 octobre 2025.

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