J’ai la grande chance d’avoir dans mon cercle d’amis des personnes sensiblement plus âgées que moi. Parmi ces personnes figure Gabi, une femme dont les problèmes de santé ne me permettent pas de la voir autant que lorsque j’étais plus jeune. Avec Gabi, je peux toujours parler des romans que j’ai aimés parce qu’elle a cette oreille attentive qui sait attendre la fin des monologues passionnés, donc égoïstes. Après avoir lu “La vie devant soi”, dont je lui avais vanté tous les mérites lors d’une conversation précédente, Gabi revient avec un cadeau pour moi : “La petite fille qui compte” de Maryse Dhainaut. Aujourd’hui, j’ai encore honte d’avoir pris autant de temps à le commencer.
Résumé
Automne 1960. Jeanne a huit ans. Elle est fille de mineur de fond et habite un coron du Nord de la France, avec ses frères et sa sœur. Son petit monde est partagé entre sa maison, son école, le carreau de la fosse, sa chatte Mimine et sa meilleure amie Chantal. Mais à l’âge où l’enfance se veut insouciante, entourée d’un père qui ne parle pas et d’une mère qui a cessé de croire en un avenir meilleur, Jeanne va devoir se battre pour maintenir l’espoir dans le cœur des êtres qui lui sont chers.
Au long d’un parcours singulier et au gré de rencontres décisives, Jeanne va découvrir la beauté et la puissance de la littérature. Une passion qui va lui révéler toute la grandeur du monde qui l’entoure.
Ce que j’en pense
J’avoue qu’au début, j’ai eu du mal à apprécier le livre à cause du style : on est à la troisième personne, sans être omniscient, mais en faisant des zooms successifs dans la tête de plusieurs personnages, et la plupart du temps, on est chez Jeanne. L’écriture y est alors “naïve”, Jeanne ayant 9 ans. J’ai été agacée par les tournures de phrases courtes et simplistes. Mais une fois que j’ai pris le pli, j’y ai pris goût, surtout qu’il est intéressant de voir l’esprit de Jeanne se complexifier avec l’âge : autant de par l’évolution de ce à quoi elle pense, que comment elle le pense.
C’est un livre émouvant qui m’a mis les larmes aux yeux plusieurs fois, ce qui m’arrive rarement quand je lis. Je pense surtout à la mort d’un des personnages centraux dans la vie de Jeanne : que ce soit avant, pendant ou même longtemps après, l’auteure arrive à peindre un processus de deuil complexe : par des habitudes perdues parce que la personne n’est plus là, par l’impact de la mort sur les autres membres de la famille… On a l’impression de vivre un vrai enterrement, c’était dur de ne pas verser ma larme pendant ma pause de midi au boulot.
Les personnages sont étayés avec finesse et il y aurait beaucoup à écrire sur tous, mais je vais m’attarder sur Mathilde. Mathilde est la mère de Jeanne. Elle est une femme qui a été jetée dans la vie avec une brutalité qui semblait être commune à cette époque. Elle fait tout pour maintenir sa famille à flot malgré un mari peu coopérant (d’ailleurs Maryse Dhainaut réalise le tour de force de m’avoir fait ressentir de la compassion pour ce mari peu aimant.) Le roman ne tombe pas non plus dans l’écueil de faire de Mathilde une femme forte et brutasse. Non, Mathilde est fragile, sensible, on la verra s’éteindre au travers des yeux de Jeanne. Jeanne deviendra extrêmement attentive à tous les faits et gestes de sa mère, même à tous ses regards pour empêcher l’irréparable. Mathilde est aussi montrée avec toutes ses jalousies, ses égoïsmes ; on l’aime, on la déteste, on la plaint… Et presque tous les personnages sont traités avec autant de nuance.
Le seul bémol serait peut-être la fin, qui ne m’a pas déplu parce qu’elle était ouverte -j’aime une bonne fin ouverte- mais parce que Jeanne se fait un petit copain en 30 pages (sur 400) et que presque tout son équilibre émotionnel repose sur lui à partir de ce moment-là. En rétrospective, je me dis que j’en attends peut-être trop d’une adolescente qui a eu un père émotionnellement absent.
Ce roman est un excellent portrait d’une famille de mineurs française des années 60. Mais personnellement, il m’a apporté bien plus que celà, merci Gabi.

