La Fille près du feu, de Tiphaine Le Gall

Il est toujours difficile de faire son choix parmi les livres de la rentrée, et même si cette année les éditeurs ont généralement décidé de réduire le nombre de romans proposés il demeure impossible de lire même un dixième de la production française. Je parle pour moi…

Mais lorsque j’ai vu Tiphaine Le Gall au catalogue de la rentrée à La Manufacture de livres, je me suis dit que je ne voulais pas y renoncer.

Le résumé

« J’aurais sans doute eu besoin qu’un psychiatre me parle ainsi, à dix-huit ans, au lieu de me prescrire des somnifères. Qu’on me dise que j’étais lucide, au lieu de me faire croire que j’étais folle. »

Au moment où sa vie vole en éclats, Tiphaine Le Gall revisite son histoire, de la rencontre avec celui qui deviendra le père de ses enfants au mensonge qui a fini par contaminer toute son existence. À travers l’écriture, elle s’interroge sur la force du désir qui l’a amenée à détruire ses repères et sur la fatalité de sa solitude. Et c’est à un autre point de rupture qu’elle se confronte. Celui qu’elle tient secret et qui détermine chacun de ses choix : l’effondrement qui l’a conduite à l’âge de 17 ans à l’hôpital psychiatrique.

Ce que j’en dis…

De Tiphaine Le Gall, j’avais adoré Le Principe de réalité ouzbek (La Manufacture de livres, 2022).

La Fille près du feu est seulement son troisième roman mais cette autrice est d’une originalité digne de lui valoir une carrière de romancière extraordinaire.

La puissance de ce roman réside (encore une fois) dans la façon dont elle est capable d’exprimer son intériorité, ses sentiments profonds. Tiphaine Le Gall est en mesure de porter sur sa propre personne un regard analytique, possédant le détachement nécessaire à la lucidité et, paradoxalement, la capacité d’enflammer l’empathie de son lecteur (moi), qui sans épouser ses choix et sans être dupe des choses détestables qu’elle tait, souhaite la suivre pas à pas dans le dédale de ses émotions.

La fille près du feu s’illustre également par sa construction, ou sa déconstruction. Les chapitres s’articulent autour de sa relation avec Johan, sa rupture, ses mensonges ou son âme de pèlerin (Pilgrim soul en anglais dans le texte, tiré d’un poème de William Butler Yeats qui fera figure de fil rouge, ou de bouée de sauvetage).

L’ordre chronologique n’est pas un critère que l’autrice à retenu pour la rédaction, ou bien elle a mélangé les cartes pour que le jeu soit en définitive aussi dépourvu d’ordre que sa vie sentimentale ce qui constitue un autre ordre logique que celui auquel on est habitué, une forme de désordre, logique, lorsque tout est en désordre.

Comme dans Le principe de réalité ouzbek, il est continuellement question du désir et des affres dans lesquelles il nous plonge lorsqu’on y cède. Mais il constitue aussi cette étincelle de vie sans laquelle aucune rencontre, aucun lien ne serait possible.

Incapable de circonscrire ce désir, Tiphaine Le Gall s’éprend d’autres hommes que de Johan qui semblait être celui de sa vie. Ballotée comme une algue arrachée aux fonds marins qui flotte dans l’écume d’une mer déchaînée, elle doit trouver une motivation pour parvenir à vivre normalement. Travailler, élever ses enfants, obtenir un diplôme auquel elle accorde une grande importance.

Se regardant bien en face, elle isole cette vérité : sa vie est érigée sur le mensonge, ce n’est plus un biais de communication mais un mode de vie, irrésistible et irréparable, formant l’écheveau incoercible de sa seule existence, car on n’en a qu’une.

« Je me découvre d’une surprenante vaillance. Ce qui arrive devait arriver, nous le savions. Nous ne pouvions pas ne pas le savoir. C’est dans l’ordre des choses. De ces choses que l’on redoute tellement qu’on éprouve une sorte de soulagement douloureux quand elles surviennent. » (p. 189)

« J’écris dans un geste répété d’exploration de mes failles, je les tisonne. Écrire me brûle et creuse le mystère. Mais on n’écrit jamais qu’à partir de ses blessures. Il faut souffler sur les braises pour qu’elles rougeoient et s’embrasent. » (p. 361)

J’ai l’impression d’avoir trouvé en cette autrice une sorte d’amie infréquentable, trop dangereuse pour être approchée, trop attrayante pour qu’on s’en éloigne juste un peu.

J’attend la suite avec une vive impatience.

L’autrice

Tiphaine Le Gall vit à Brest.

Son premier roman, Une ombre qui marche, a été publié en 2020 aux éditions de L’Arbre vengeur. Après Le Principe de réalité ouzbek, La Fille près du feu est son deuxième roman à La Manufacture de livres.

La Fille près du feu, de Tiphaine Le Gall est édité par La Manufacture de livres.
Le livre broché de 352 pages est vendu 18,90€.
Paru le 22 août 2024.

2 commentaires

Répondre à Matatoune Annuler la réponse.