D’abord pas vraiment emballé par le pitch, je n’avais pas prévu de lire On n’est plus des gens normaux, mais après avoir lu plusieurs commentaires élogieux à propos de Justin Morin, je me suis repenti et me suis adonné à la découverte de ce premier roman aux allures d’audace journalistique.

Le résumé
Ce roman aurait pu être un récit documentaire. En 2017, P. fonce avec sa voiture sur la terrasse d’un restaurant. Angela, 13 ans, meurt sur le coup. On comptera des dizaines de blessés. Alors journaliste, Justin Morin couvre le procès. Il y rencontre une famille ainsi que la sœur du coupable. La famille, c’est celle d’Angela dont les parents, Sacha et Betty, réclament justice. une famille amputée dont les liens se resserrent. À l’issue du procès, le journaliste n’arrive pas à mettre un point final à son récit. Alors c’est le romancier qui prend la relève pour tenter de comprendre. Réinventer une histoire familiale, basculer dans la fiction en recréant le personnage de Lisa, la sœur du coupable. Interroger le réel en puisant dans l’imaginaire.
Avec ce premier roman fulgurant, Justin Morin s’impose comme une nouvelle voix incontournable de la fiction documentaire.
Ce que j’en dis…
Dans la première partie du roman, Justin Morin fait plutôt œuvre de journaliste, nous raconte au plus près l’histoire de cette famille dévastée par ce qu’il convient à mon avis d’appeler un attentat. L’impossibilité de tourner la page lorsque l’on est frappé par un deuil aussi horrible que celui de la famille survivant à Angela.
Me voilà au cœur de la raison pour laquelle je n’avais d’abord pas envie de lire ce livre. Se pencher de si près sur le malheur des gens me met vraiment mal à l’aise, j’y vois une sorte de connivence avec la misère aveugle de l’injustice et des tourments imprévus. Je regrette presque alors d’avoir changé d’avis. Alors que tout le monde tombait d’accord pour dire du bien d’On n’est plus des gens normaux, pourquoi vais-je donc décider d’y ajouter mon grain de sel ? Un grain de sel noir dans un récipient unanimement blanc et pur… Pourtant, je ne pouvais pas vraiment dire que je n’aimais pas le style de l’auteur, c’est juste que le sujet m’était insupportable de réalisme.
Puis, vient le moment du procès, la sœur de P. décide de soutenir son frère alors que tout, les faits, l’opinion publique, les jurés, le lecteur, le condamne. C’est là le tournant décisif. Désireux de comprendre sa prise de position, Justin Morin sollicite une entrevue mais la sœur refuse de s’y livrer. Alors le journaliste devient romancier et précise son propos, puisqu’il ne peut plus s’en tenir aux faits, il va devoir imaginer les raisons pour lesquelles la sœur soutient l’insoutenable.
À partir de ce moment, effectivement, le lecteur est touché par la grâce. Le récit devient extraordinaire, il transcende la réalité, nous parle d’une autre souffrance, fictive mais ô combien palpable, celle de l’auteur des faits, ce monstre qui a percuté des gens tranquillement attablés à une terrasse de restaurant. Si Justin Morin le journaliste ne m’avait pas vraiment charmé, le romancier, lui, me subjugue. L’étrange compassion que j’en viens à éprouver à l’égard du jeune P. et de sa sœur me fait parfois culpabiliser, comme si j’avais une dette envers la famille d’Angela dont l’histoire, pourtant vraie, m’avait provoqué une empathie moindre. Ce sentiment étrange et troublant s’efface heureusement vers la fin du récit, lors du procès en appel, lorsque le ton du roman redevient journalistique. Mon affection pour Sacha et Betty a étrangement grandi alors que je m’intéressais à cette fiction consacrée à la vie de l’assassin de leur fille.
Plus qu’une œuvre originale, c’est un véritable tour de force littéraire que nous donne à lire Justin Morin et je suis heureux au terme de cette lecture de me repentir encore et de venir ajouter non pas un grain de sel noir mais un autre, bel et bien aussi blanc et pur qu’il est possible, ajoutant ma dithyrambe à l’approbation consensuelle qui entoure ce premier roman.
L’auteur

Justin Morin a grandi à Rouen et vit maintenant à Paris. Journaliste, il a intégré en 2021 le master de création littéraire de l’université de Paris-VIII. Il anime également des ateliers d’éducation aux médias et à l’information. On n’est plus des gens normaux est son premier roman.
On n’est plus des gens normaux, de Justin Morin est édité par La Manufacture de livres.
Le livre broché de 256 pages est vendu 16,90€.
Paru le 22 août 2024.

Ravie car c’est un premier roman particulièrement abouti !
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